Le ciel gris, le brouillard, la pluie et les frimas font leur réapparition sur le Genevois. Les feuilles se décolorent et chutent. Nos regards ne se portent plus à la cime des arbres, comme à la belle saison, mais s’abaissent vers la terre mère. La Nature se prépare au sommeil de l’hiver.
Les fruits de la fin de l’été, les pommes et les poires sont cueillies. Les jus pressés. La vendange terminée. Cependant… triste, l’automne ? J’appréhende l’hiver, c’est vrai. Mais la nature n’est jamais aussi somptueuse, éclatante de couleurs qu’au moment de s’endormir. Son message est presque triomphal. Le monde végétal jette des flammes, comme s’il était fier d’avoir, cette année encore, si bien rempli sa mission de nourrir le vivant.
Et nous ? Etres de la nature, nous vivons au rythme des saisons. Après les éclosions du printemps et l’intense activité de l’été, voici venu le moment des récoltes, des bilans, des replis sur soi. Il est temps d’agréger à nos corps et nos âmes ce que nous avons produit et vécu.
Vivre en automne, c’est me brûler les doigts en saisissant un cornet de châtaignes grillées -un de mes plus grands bonheurs au pays des feuillus. Admirer la féérie des cucurbitacées, découvrir les topinambours et autres légumes d’antan chez les maraîchers. Déguster des gâteaux aux pommes, faire sauter des chanterelles avec une fouettée d’œufs et d’herbes. C’est éprouver sur ma peau le contact de la laine et du cuir. C’est rouspéter lorsque le chêne déverse sur mon capot de bagnole une cargaison de glands. Ne plus me fier aux rayons du soleil pour me lever à six heures. Ce sera, bientôt, évider une courge à la cuiller, y creuser des yeux et un sourire édenté. Puis ouvrir ma porte et donner des bonbons à tout un défilé de petits monstres, sorciers, vampires et autres ectoplasmes.
Tenir ma plume en automne, c’est accepter que je ne crée rien seule, que je ne fais que recycler de l’énergie de la nature mille fois captée et semée à tous vents par d’autres ; c’est me réjouir de mes belles réalisations de l’année et, au même instant, considérer avec tolérance mes essais ratés, mes textes inachevés, mes entreprises mal abouties, aimer mes pauvres feuilles jonchant le sol, consciente que la sève remontera, peut-être revigorée et nourrie de cette matière informe.
Créer en automne, c’est m’émerveiller de l’imagination des artistes ; admirer leur façon toute personnelle d’interpréter le silence tombé sur nos épaules, uniquement troublé par le craquement des feuilles sous les pas, et comprendre avec quel talent ils trempent leurs mains, leurs plumes, leurs archets, leurs pinceaux, dans ce bain de couleurs et de sensations.
Sophie
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