Cette manie de pêcher des mots anglais alors que notre langue, construite sur des bases solides, éprouvées, est richement équipée du vocabulaire idoine m'agace un peu quand même, mais bon, comme tout le monde, je pars en week-end et je mange un sandwich en répondant à mes e-mails.
Ce mot « cluster » m’a pourtant surprise et dérangée. Sec et bref, il a explosé comme une grenade dans les JT, et s'est étalé sans vergogne dans toutes les feuilles de chou de Suisse, France et Navarre. Je l'entendais pour la première fois, et je n'étais pas la seule. Ciel ! Quelle affreuse chose, pourvue d'un nom terrifiant, accablait encore l'humanité, dans l'attelage de ce virus aux allures d'oursin mal épilé ? Quel était ce danger inédit, qu'aucun mot de notre lexique ne savait coiffer correctement puisqu'il avait fallu en piquer un à nos voisins ? Et quel mot ! Après quelques recherches (brèves, on va pas faire une thèse de doctorat), je lis que "Cluster" signifie grappe, et par extension : regroupement, réunion. En anglais, "Cluster" convient également aux régimes (de bananes), aux essaims (de guêpes), aux touffes (de poils), aux amas (de cailloux). Le virus ne s'en prenant qu'à nos petites alvéoles, et épargnant nos cellules grises (ceci est une affaire à suivre), on avait quand même saisi l'idée générale. J'ai rêvé avec mon lexique à moi... On signale des grappes de malades dans tel département. Ou alors : de grandes touffes de cas positifs dans telle grande ville. Essaims d'urgences sur les marches de l'hôpital. Amas de confinés dans les maisons de retraites...
Je me méfie de ces mots surprise, mots mots traîtrise. J'ai appris petite qu'il ne fallait pas parler à des inconnus. Je n'aime pas utiliser des mots inconnus, jaillis de nulle part, comme des diables de leur boîte, substantifs aux allures de film catastrophe, n'ayant d'autre but que de nous sidérer. Je suis étonnée que personne n'ait inventé encore le terme de Block-Cluster. Tiens, je l'invente.
Sophie Colliex
BlockCluster chapitre 1
Photo Sophie Colliex
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