Les Réprouvées
- Sophie Colliex

- 24 oct.
- 2 min de lecture
Alexandre Regad, éditions Presses Inverses
« Les Réprouvées » est un pur roman. J’y trouve d’emblée ce que j’attends d’un roman : l’immersion dans un autre espace-temps. Le texte a pour cadre la Haute-Savoie et en particulier le village de Morzine. Nous sommes au milieu du 19ème siècle, bien avant le ski et les portes du Soleil, bien avant Avoriaz et les bataillons de touristes attablés devant leur tartiflette/coca au restaurant d’altitude. En ce temps-là, le village vit sous l’administration du royaume sarde - les deux Savoie seront rattachées à la France en 1860. Le roman s’inspire de l’affaire des « Possédées de Morzine » qui secoua la région à la même époque. Pendant quelques années en effet, des villageoises, enfants, adolescentes, jeunes femmes furent victimes d’inexplicables et étranges phénomènes.
En ce temps-là, les femmes seules, célibataires, veuves ou abandonnées inspirent la méfiance. Les autres femmes, terrassées par le mariage et les maternités, craignent que leurs maris tombent dans leurs filets. Le mot « sorcière » plane. On ne les brûle plus comme sous la Sainte Inquisition mais leurs possessions tombent dans l'escarcelle des curés. Il faut détruire les pouvoirs de cette Femme que l’on désire, et que l'on craint tout à la fois. On la frappe, on l’asperge d’eau bénite, on la tartine d’onguents, on brandit des amulettes pour chasser le Diable de son corps, on l’affame, on l’enferme.
L’héroïne, jeune femme à la chevelure rousse et à la toison en feu, a perdu la mémoire. Telle Eve au paradis terrestre, elle erre nue dans une nature magnifique. Dans ce roman sensuel, on respire la pluie, la neige, la boue, les sapins. On suit un papillon, on entend les oiseaux. Ses gambades évoquent parfois celles de l’abbé Mouret dans « la Faute ». Les voix mêlées de trois personnages, et celle dominant toutes les autres, du vent balayant les hautes forêts, nous invitent dans un récit fantasmagorique digne du festival d’Avoriaz. Les femmes crient, hurlent, déchirent leurs chemises. Les médecins, les prêtres, les militaires affluent. Dans le village, les gens s’enferment, s’épient, se taisent. Que se passe-t-il à Morzine ?
Genève, le 24 octobre 2025




Commentaires